[Flash-back] Attraction

Ce matin même, un hibou de l'école s'était vu dans l'obligation d'accomplir le dangereux périple Poudlard-la volière => Poudlard-la Grande salle, sans escale, terminus tout le mode descend.



A ces quelques mots s'aggloméraient une heure et un lieu de rendez-vous, le tout marqué d'un simple "M" que le destinataire était censé identifier.

******


Cinq minutes avant l'heure dite, un explorateur quelconque aurait pu trouver Meghan accoudée à la rembarde, toute de blanc vêtue -slim et leger sweat-, ses boucles tressaillant devant le vide.
Le vertige n'était-il que la peur de chacun face à la tentation de sauter? Que resssentait-on à planner pendant quelques secondes d'éternité avant d'atterrir cinq étages plus bas? Voyait-on réellement le film de sa vie défiler devant ses yeux?

Quoi qu'il en soit, Meghan n'aurait jamais le courage - ni l'envie - de tenter l'expérience.
Dommage que personne ne revienne jamais pour leur en donner le récit... A moins que... Mais non, argua-t-elle intérieurement, Nick avait été décapité (enfin, presque), la veuve Pleureuse s'était noyée dans ses larnes et ainsi de suite mais aucun des fantômes de Poudlard n'était un revenant du grand plongeon.

C'était sans doute de drôles de pensées pour servir d'introduction à ce rendez-vous. Celui-là entre tous. Mais ça passait le temps de manière tout à fait correcte.
S'était-il passé dix minutes ou une heure qu'elle aurait été de toute manière incapable de compter les grains de sable qui s'étaient écoulés. Etrange quand on savait combien la perspective de ce rendez-vous avait rendu ses nerfs sensibles. Quoi qu'il en soit, Shawn (car c'était bien lui) finit par arriver, égal à lui-même. Du point de vue de Meghan. C'était presque comme si les deux mois d'été n'avaient pas existé.

"Shawn."

Un sourire jusqu'aux yeux, sa langue effectua les, sept fois sept, quarante-neuf tours rituels.
Mieux valait prévenir que guérir.

'Tu m'as manqué.'

Un hibou quelques mots et le voilà prêt à grimper les escaliers en rappel. Enfin pas trop vite tout de même, qu’elle ne s’imagine pas des choses.
Mais voilà, Meghan a besoin de lui.
Soit elle a des ennuis, auquel cas elle est tombée sur la tête pour lui demander de l’aide à lui.
Soit elle a besoin de choses… qui ne devraient pas être dans l’enceinte de l’école et là, il est son homme.
Soit elle a juste envie de le voir.
C’est surement ça.
Deux mois sans lui il faut croire que c’est trop long !

Il la rejoint donc dans les escaliers à l'heure convenue, de son pas nonchalant, mains dans les poches, sourire en coin, ses yeux verts la scrutant du bout de ses chaussures à la pointe de ses boucles.
Elle le salut d’un sourire ravi et il se retient pour ne pas lui rendre. A la place il l’embrasse sur le front et la gratifie d’un désinvolte :

« Salut "M" »

Il s’adosse ensuite à la barrière et lance un sourire moqueur à une élève dont le sac vient de s’éventrer dans les esaliers, répandant tout son contenu sur les marches.

« C’est pas de bol à l’heure de pointe. »

Il se tourne à nouveau vers Meghan et fait rapidement disparaître son air moqueur pour en prendre un angélique et innocent au possible, qui convient mieux à la situation.

« Alors, dans quel pétrin t’es tu fourrée pour avoir besoin de moi ? »

Quel délice de l’obliger à proférer la vraie raison de son hibou. Toujours adossé à la rambarde, il observe Meghan par en dessous, d’un air qui se veut, au prix d’un immense effort, dépourvu d’arrogance et empreint d’un sérieux qui ne lui ressemble guère. Il plonge ses yeux vifs dans ceux de la gryffondor et attend patiemment qu’elle se confie.

A long time ago... :

' Ca devrait pas être permis, un regard comme ça... '

Sur le point de signer n'importe quelle pétition en faveur d'une interdiction formelle pour les hommes entre douze et quarante-cinq ans d'arborer un regard perturbateur, Meghan laissa son regard à elle s'attarder sur le spectacle de la jeune fille et de ses livres. Mais l'illusion de durerait pas.

Deux mois sans lui, ça avait été trop long.

" J'ai un rendez-vous. "

Son ton était trop bas quand elle l'avait espéré sûr de lui. Fier. Lui jetant un regard en coin, elle guetta sa réaction. Elle aurait donner la moitié de sa garde robe pour contempler un tressaillement. Non, même pas. Un simple cillement.

La rentrée était venue et avec elle le vide sentimental. Enfin, pas vraiment... Son coeur était plein mais ses bras demeuraient incomblés. La nuance était douloureuse.
C'était ainsi, elle avait besoin du regard des autres, guettant leur attention, espérant leur affection. Car, elle avait acquis cette certitude: on ne meurre jamais que du manque d'amour. Tous les poètes étaient d'accord là-dessus.

La fin de l'année avait vu sa relation avec Shawn s'étioler, sans qu'elle le veuille vraiment, sans parvenir à l'en empêcher. Une autre de ces histoire basées sur l'incompréhension.
L'été était venu, et avec lui, ses retrouvailles avec Logan.
Mais l'été était mort et la rentrée était venue, voyant le plein devenir vide.

Et puis... et puis Mikaïl l'avait invitée. Elle avait accepté. Cette partie de l'histoire, au moins; était vraie.

Ses yeux croisèrent ceux de Shawn un bref instant (où était donc cette fichue pétition) et elle réussit à bégayer un sourire:

" Et j'ai besoin que tu m'aides... "

Elle ne rougit pas, ne bégaya pas, se contentant de fixer le lointain.

Un rendez-vous.

Pff.

Et puis avec qui d’abord ?

L’aider à faire quoi ?

Pourquoi lui ?

« Ah ok. C’est bien. »

Très éloquent.

Il se tourne vers le vide et s’appuie à son tour, les coudes contre la rambarde, le regard vers les élèves qui circulent en contrebas.
Une chevelure noire de jais attire son attention. Il la fixe bien plus longtemps que nécessaire afin de laisser le temps à Meghan de préciser ses pensées.
Rien ne vint.

« J’ai du mal à voir en quoi je peux t’aider pour ton… rendez-vous ! »

Il avait lâché le mot comme on pose une bombe. Avec ce sourire en coin qu’il savait lui aller comme un gant, avec toute l’arrogance contenue les minutes d’avant, et avec un brin de moquerie qu’elle ne manquerait pas de remarquer.

« Tu veux que je t’aide à le rendre jaloux ? A t’éclipser du château ? A faire quoi ? »

Il se tourne vers elle le visage insondable, balayant les traits de la gryffondor à la recherche d’un quelconque indice. Des yeux verts (décidément il avait un faible pour cette couleur) aux boucles brunes, en passant par la peau caramel. Elle était toujours Meghan. La Meghan de l’an dernier, avec ses drôles de manies, ses prières incessantes et son monde bien à elle. Dur de tricher avec elle. Et ça ne tournait pas vraiment à l’avantage du Serpentard qui pourtant s’avérait maître en tricherie.

Il se perd un instant dans le vert de ses yeux, partagé entre l’envie de tourner les talons et la laisser seule avec « son rendez-vous » et le besoin de rester pour savoir l’identité du malheureux dont il se moquera bientôt. Lorsqu’il se détourne, machinalement ses yeux cherchent la chevelure noire ébène.

Les femmes sont compliquées.

' C'est tout ce qu'il trouve à dire? '

Une vague de déception lui souffla tout sourire des lèvres. Elle aurait aimé... elle s'était attendue... elle voulait... Souhait perdu à décliner au conditionnel.
Même l'humour made in Shawn ne parvint qu'à lui arracher une grimace. Il se moquait, il s'en foutait... loin de l'effet escompté tout ça.

Et, pendant que son regard à lui se fixait sur une autre, le sien s'attarda une seconde de plus que nécessaire sur ses lèvres.
Merlin qu'il lui avait manqué et tout ce manque n'avait servi à rien. Il était détaché. A la fois à ses côtés et voguant au loin.

Peut-être pour ne pas s'avouer vaincue, peut-être pour y croire encore un peu ou peut-être simplement parce qu'une fois ici,elle ne savait pas quoi faire d'autre, Meghan répondit, simplement:

" Je voudrais... "

Pas si facile à l'évidence. Il fallait toujours trouver les mots justes pour le convaincre. Et depuis juin dernier, elle n'était plus sûre d'en avoir le pouvoir.

" Je voudrais que tu me conseilles,que tu me donnes ton avis... "

Avant, l'an dernier, ou n'importe quand, elle n'aurait pas parié une seule mornille sur l'éventualité d'un "non".Le problème, c'était que c'était avant.

" ...comme le font les amis. "

Au-delà de la simple remarque, il y avait une prière plus profonde. Étaient-ils seulement encore amis?
Elle se força à chercher son regard. Il n'avait jamais su lui mentir s'il la fixait droit dans les yeux.

' Enfin, c'est ce que je croyais. '

Elle aurait pu essayer autre chose. Il paraît que les hommes sont incapables de résister si on se tenait comme ça, à côté d'eux, le plus près possible sans les toucher, juste à les regarder et à attendre. Et le frôlait presque. Mais ça n'était pas suffisant. Ça n'était plus suffisant.

Donc ils étaient amis. A vrai dire il avait passé une bonne partie de l’été à se demander si ils étaient encore quelque chose. Pas de nouvelles, pas de hibou, rien. Pas plus de son côté. Il avait eu envie, c’est vrai. Mais faire le premier pas, jamais. C’était aux autres de venir, pas à lui de se déplacer. Visiblement il avait eu raison de ne pas se lancer, Meghan était passée non seulement à autre chose, mais à quelqu’un d’autre. Probablement le "fameux" Logan.

Non, tu ne demanderas pas qui c’est.

« C’est qui ? »

Boulet de canon. Après la bombe… ça reste d’actualité.

On appelle ça, avoir de la volonté. Un truc de dingue. Bravo.

Shawn secoue la tête et s’esclaffe.

« Quel est le pauvre malheureux qui va faire les frais de ta séduction ? Quoi qu’en fait ça me regarde pas.»

Voila, mieux, au moins ça fait moins intéressé. Enfin… un peu.

Et elle est là, à battre des cils à quelques centimètres de son visage, dans une attitude parfaitement travaillée pour enquiquiner la gente masculine. Audacieux, il lance une main intrépide vers le visage de la Rouge pour replacer une boucle derrière l’oreille délicate. Il approche ensuite sa tête de Meghan de façon à ce qu’elle sente son souffle contre son visage. Redoutable.

« De quel conseil un joli minois comme le tiens peut-il bien avoir besoin ? »

Sourire ironique.

Sombre troll.

Il hausse les épaule, se répondant à lui-même avant de se laisser choir sur une marche au milieu du flot d’élèves. Levant les yeux vers la rouge et or, il lui fait signe de la tête de s’installer à ses côtés.

« Allez miss Cameron, séance de psychanalyse numéro 27, assieds-toi. Tu peux pas savoir comme je regrette de pas avoir de canapé sous la main. »

Il lui balance son sourire en coin.

Est-ce qu’on peut mentir à ce jeu là ?

Mini-victoire. Il voulait savoir. Pure politesse peut-être mais il n'empêchait que la question lui avait échappé. Même si Meghan refusait de déjà considérer ça comme un triomphe. Si Shawn avait été aussi simple, elle l'aurait su. Elle l'aurait appris.

La simili-victoire vire au flop monumental avec l'éclat de rire du jeune homme. Une pique ou deux pour supprimer toute impression de familiarité. Son frère lui aurait posé les mêmes questions, avec le même air, le même ton et le même humour mordant et condescendant. Tout d'un coup un seul frère, ça lui suffisait amplement. Même le "petit minois", c'était du Joachim tout craché. Sauf que le Joachim tout craché, ça n'aurait pas donné une impulsion de plus à son pauvre cœur.

Il se la jouait au grand frère. Ok, elle se ferait petite sœur.

' Bonne sœur, ça peut être une idée aussi. '

Elle arbora vaillamment son sourire "tu me cherches tu me trouves" et lança:

" Mikaïl. Septième année. Serdaigle. Je fais dans l'intelligent que veux-tu. Ça tombe bien, la séduction, c'est pas leur truc."

Maintenant, elle allait éviter de penser à ce qu'elle venait de dire pour réprimer l'envie d'appliquer la politique de l'autruche. Elle avait comme un doute que le sol soit très friable.

Un geste de sa part et elle s'empressait d'accéder à sa demande. Pathétique. En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, Meghan se retrouva sur la marche aux côtés de Shawn, dans une distance docteur-patient on ne peut moins protocolaire. A endiguer le flot des élèves. Ça n'était pas son genre de se faire remarquer ainsi. Mais c'était Shawn. Shawn et son don d'arriver à lui faire oublier pour un temps les autres et le poids de leur regard.

Elle cilla à la mention du canapé et refusa d'y voir ce qu'elle aurait bien aimé comprendre. Elle rougit peut-être même un peu. Canapé avait du mal à rimer avec psychanalyse. Et le "Docteur" a un sourire pas très conventionnel. Alors, à son tour, elle lui balance son regard de biche effarouchée:

"C'est grave, docteur? "

Comme quoi, elle savait jouer, elle aussi, de temps en temps.
En prime, elle gagnerait peut-être une auscultation.

'Oups. '

Ma parole elle cherche à me vexer !  

L’intelligent, le fier, le grand Serdaigle.
Shawn ne peut s’empêcher de partir d’un grand éclat de rire. Bon, c’est vrai… il n’a pas trop essayé de se retenir. C’est pas très gentil. Mais au moins, si elle comptait le vexer avec ça, ben c’est raté.

Et si elle comptait pas le vexer…
Et ben tant pis c’est trop tard.

« Donc, un Serdaigle. T’as pas peur de t’ennuyer ? »

Air totalement convaincu. Si si.
Il se gratte la gorge un instant et passe une main sur ses cheveux courts avant de la refermer autour du pendentif. Le sien. Celui qu’elle a choisit quelques mois plus tôt. Il ne l’a pas enlevé. Avant qu’elle fasse une remarque à ce sujet, il le rentre dans son T-Shirt. Il n’aurait peut-être pas dû le porter aujourd’hui.
Il prend son ton le plus sérieux pour lui répondre et passe son bras autour des épaules de la rouge et or. Elle peut dire ce qu’elle veut, elle lui appartiendra toujours… un peu. Du moins… il espère.

« Je crois que c’est grave. »

Il laisse un blanc en suspend destiné à faire son petit effet. Il fixe devant lui, comme plongé dans une intense réflexion avant de reprendre.

« Que tu préfères l’intelligence à la séduction, je trouve ça super gave. Tu as changé Meghan. C’était pas trop ton genre avant ça. »

Il rit à nouveau et secoue la jeune fille en prenant soin de l’attirer un peu contre lui. Tout en la maintenant au creux de son épaule, il part dans une litanie un peu moqueuse et self défensive.

« Là vraiment tu me poses une colle. Comment plaire à un mec intelligent et moche… c’est vraiment pas mon point fort tu vois. »

Il conservait un peu d'elle tout contre sa peau.
Ça n'était pas encore l'espoir qui renaissait, mais plutôt l'absence de foi qui prenait le large en direction de ciels plus sombres.
Parce qu'il conservait un peu d'elle tout contre sa peau.
Le présent qu'elle lui avait fait un après-midi de pluie. Quand on savait combien elle aimait la pluie. C'était en mars, lui semblait-il, en pleines giboulées, quand le temps lui-même ne sait plus où il en est.
Sauf que ça ne servait à rien d'autre qu'à se faire du mal en repensant à ces moments-là. Les images l'assaillaient et ça n'était pas pour l'aider à conserver sa neutralité calme. Mais...
Il conservait un peu d'elle tout contre sa peau.

Et Shawn l'aidait si bien à chasser les souvenirs.C'était comme si le Shawn d'avant et le Shawn de maintenant étaient des jumeaux. A la fois tellement proches et tellement différents. Il n'y avait que l'effet qu'il lui faisait qui demeurait (malheureusement?) inchangé.

Alors, elle en profite quand il la prend par les épaules pour se serrer un peu plus contre lui. Dingue comme il fait froid dans ce château, ces temps-ci, pas vrai? Et puis, c'était pas une ébauche, une esquisse, un brouillon de câlin qui allait faire chavirer les choses...

La Rouge et Or eut un pauvre sourire. Si c'était grave, alors...

'Je veux bien un traitement de choc.'

Et Dr Shawn semblait tout indiqué pour sa compétence dans ce genre de traitement. Mais, parce que ça n'avait jamais été son genre d'enclencher les hostilités, elle retint ses paroles et...

"Il faut croire que les beaux garçons, ça ne me réussit pas."

'Beau et stupide.'

Stupide? Pas si sûr.

"Ils ne savent que me briser le cœur."

Ça, c'était pas tout à fait ce qu'elle aurait aimé dire. C'était soit trop. Soit pas assez. Et elle n'était pas prête pour le "pas assez".
Même maintenant, elle n'arrivait pas à l'insulter. Lui ne s'était pas gêné, ce sombre après-midi de juin, à la fin de tout. Il ne s'était pas gêné pour enfoncer la pointe où ça faisait bien mal. Et pourtant, pourtant, même maintenant, elle se sentait horriblement apte à lui pardonner n'importe quoi.

"Alors j'essaye de passer à autre chose, tu vois."

'J'ai pas changé. J'ai souffert.'

Son air n'était pas plus glorieux.
Meghan tenta de le fixer, ne serait-ce qu'un instant, pour se prouver, pour lui prouver... quoi exactement?
Ca ne se passait pas de la manière à laquelle elle s'était préparée. Elle avait pensé à un jeu. Ca devenait beaucoup trop émotionnel sous le couvert de la légèreté.

"J'imagine qu'il faut être intelligente et pas trop moche. J'ai encore du travail à faire."

Ca non plus, elle n'avait pas voulu le dire. d'habitude, avec d'autres que lui, elle se taisait, écoutait. Et songeait après à ce qu'elle aurait pu dire. Ça n'avait jamais marché avec Shawn.

Elle se serre un peu contre lui et son cœur de caïd rate un battement.
Elle a ce don rare qu’ont peu de personnes de faire sortir ce qu’il y a de bon en lui. Et ça, il ne peut plus se le permettre. Il n'a pas le choix c’est comme ça.
Lorsqu’elle part dans son discours sur les beaux gars qui ne lui réussissent pas il esquisse un sourire ironique. Pour une fois, il s’est forcé.
Elle est persuadée qu’il lui a brisé le cœur. Mais c’est pas vrai. Son cœur ne lui appartenait pas. Il ne lui a jamais appartenu entièrement. Son cœur est à Logan.

Il la repousse légèrement, un peu à contrecœur et se prend la tête entre les mains. Regarder derrière, c’est pas son truc. Penser au passé ne l’intéresse pas. Ça aurait été tellement plus simple si Meghan en était sortie aigrie et haineuse. Si elle avait voulu l’éviter toute l’année, ça lui aurait facilité les choses.

J’ai trop morflé Meghan, j’ai plus le choix. Tu ne m’as pas laissé le choix.

Mais Meghan est Meghan. Et voilà qu’après toutes les choses qu’il lui avait dites, elle venait lui demander de l’aide. Voilà. Ça c’était Meghan.

Il soupire bruyamment avant de se tourner vers elle et de lui attraper le menton de sa main gauche, non sans brusquerie.

"Ecoute-moi bien Meghan, tu sais très bien ce qui se passe quand quelqu’un se dévalorise devant moi. Je l’enfonce. Je trouve beaucoup trop stupide de s’inventer plus de défauts qu’on en a. Alors si t’as vraiment envie que je t’appuie un coup sur la tête, continue à dire que tu es moche et bête. C’est clair ?"

Les yeux de l’un mettaient ceux de l’autre au défi de répondre. Son visage, si proche de celui de la rouge et or, recevait son souffle comme une offrande, et l’aspirait par chaque pore de sa peau.

Ca lui avait brûlé les lèvres mais elle s'était tue. N'avait pas dit qu'après lui, tous les garçons lui semblaient fades. Identiques. Inexistants. Et qu'en dépit de ça, il fallait bien continuer de vivre. N'avait pas dit que cet été, même le goût de Loagn n'était plus le même. Parce que ce même goût lui interdisait Shawn.
Elle s'était tue. Elle s'était tue et elle avait bien fait. Parce qu'il y avait quelque chose en Shawn qui s'était fermé à elle. Quelque chose qu'il avait peut-être donné à une autre. Quelque chose sans quoi le monde paraissait soudain plus vide.
Ca n'était pas tant Shawn, sa peau, ses yeux ou ses lèvres que le fait de les savoir inaccessibles. Le dilemne de l'amateur d'art. Ou du gourmand lors du salon annuel du chocolat. On ne touche qu'avec les yeux. La frustration faite proverbe. On ne touche qu'avec les yeux. Mieux valait être aveugle.
Et chacun des garçons qui avaient croisé sa route ne semblaient avoir existé que pour lui rappeler qu'ils n'étaient pas Shawn.

'Se taire. Dissimuler. Il n'y a que ça de vrai, finalement.'

Même si parfois, ça serait tellement plus fort de laisser tout exploser pour se sentir libérée du poids de tout ce silence.
Elle avait le coeur gros, le coeur lourd, Meghan. Trop gros. Quelques mots de trop, une goutte de plus et tout débordait. Enfuie sa bonne humeur inoxydable, enfuie au pays des légendes.

C'était trop demander un peu de compassion ou d'amitié?

"T'es toujours pas plus capable d'avoir un mot gentil, hein?"

La conséquence d'un trop long silence. Les mots qui sortent tout seuls. Et, pire que ça, le sentiment de ne les regretter qu'à moitié.

'Il est même pas capable de comprendre que j'ai besoin d'être rassurée? Au moins un peu.'

Shawn était près d'elle, trop près. Faible parodie de ce qu'ils avaient été l'un pour l'autre.
Un simple geste, une esquisse de mouvement et elle pouvait poser ses lèvres sur les siennes. Elle se troubla avec dans les yeux, encore cette étincelle de fureur qui était toujours plus que ce dont on la croyait capable. Meghan la calme. Meghan la pondérée. Meghan la sage. Meghan la timide. Comme ils la connaissaient mal, tous. Sauf les MELT. Sauf Shawn, avait-elle cru.
C'est ce qu'on se laisse aller à croire qui nous fait le plus de mal.
Juste un instant de plus, elle se laissa aller à croire qu'il y avait encore la promesse d'un peut-être suspendue dans l'air entre eux deux avant de se détourner.

"Je suis désolée."

Ca aussi, ça avait le don de l'énerver, cette manie qu'elle avait d'être "désolée" pour tout et pour rien. Meghan s'en souvint soudain avec le sentiment stupide que ça n'était plus si important maintenant.

'Désolée de ne pas avoir été... désolée d'avoir cru... désolée d'avoir failli...'

Non, les mots gentils il ne sait pas les dire. Être gentil n’entre pas dans ses cordes, pas dans ses compétences et encore moins dans la catégorie "envisageable". Il est… juste Shawn. Et c'est déjà pas mal.
Ses yeux se perdent à nouveau dans les boucles brunes.

Bouse Megh… Tu pourrais pas être un peu moins toi ?
Que ce soit plus facile pour moi.

La facilité il aime. Les défis, c’est lui qui se les jette, pas la vie qui les impose.
Il contemple Meghan un instant. Elle est là, si prés qu’il n’a qu’à s'avancer un peu pour retrouver le goût de ses lèvres.
Lui et Meghan ça collait bien avant Juin. C’était compliqué, mais bien. Elle était importante. Plus qu’il n’aurait voulu en réalité, mais importante. Elle avait le don de sortir de vous ce qui valait le coup, même ce qu’on ne soupçonnait pas.  
Avant Juin tout allait bien. Avant Logan, avant de comprendre que, non, elle ne serait jamais qu’une parcelle de ce qu’elle pourrait être. Pas à lui complètement, pas non plus à l’Autre. Et ensuite ? Les choses s’étaient dégradées sans qu’aucun des deux ne fasse quoi que ce soit.
Fierté ? Honneur ? Paresse ? Un peu tout probablement. Parce qu’en plus de ne pas savoir dire les mots gentils, il est un peu tout ça.
C’est probablement ce qui le retient de l’embrasser là, juste pour avoir encore une fois le droit de poser sa bouche sur la sienne. Avant que … Mickael ne s’en empare. L’avoir encore une fois à lui.
Déjà elle se détourne. Il a laissé passer sa chance. Tant pis pour lui. De toute façon, c’est fichu. Et puis elle s’excuse, encore.
Il esquisse un sourire. Pas d’ironie, ni moquerie ni sarcasme. Un vrai. Ça faisait longtemps et ça fait bizarre.

"Je sais pas dire les mots gentils… et toi tu sais pas dire deux mots sans t’excuser. Plutôt marrant non ?"

Même pas en fait. Comme si elle s’excusait pour lui. Pour ce qu’il est. Elle a toujours été comme ça Meghan. Elle.
Il se passe rapidement la main sur le visage. Au cas où ça puisse laver les embrouilles, balayer les problèmes, sait-on jamais.
Elle attend presque son approbation. Un encouragement, un signe, un geste qu’il n’a aucune envie de lui donner.

"Bon, en gros, tu voudrais que je te dise « vas-y Meggie, fonce ! Il est trop super Machin-chose. » … C’est ça ? Alors… Ouais, vas-y."

Fonce avec ce blaireau…