Sympa de découvrir l'origine de Jack O'Lantern ! Je ne connaissais pas son histoire et c'est un plaisir de découvrir cela ! Merci
A mon tour !
Depuis gamine je suis très curieuse du monde surnaturel, et spécialement des sorcières et des fées. Sachez que les fées ne sont pas toutes bonnes, gentilles et promptes à offrir cadeaux et dons à des bébés, ni toutes désireuses de protéger des jeunes filles...
Et dans les folklores, il y a une grande collection de fées qu'il vaut mieux ne pas approcher... comme les Lavandières, ou Chanteuses de nuit, des fées françaises (surtout situées au sud et dans la partie ouest du pays). Et Pierronnick en sait quelque chose...
Pierronnick rentre chez lui en passant par le bois. Il a bien profité de la soirée et chante en titubant, se cognant aux souches, aux arbres, à tous les pièges que la nuit parsème quand on la prend à rebours. Il grogne, jure, donne des coups de pieds aux cailloux du chemin. Rit comme un baudet, se soulage contre un vénérable chêne, s'acharne sur toutes ces ombres trompeuses où il semble se perdre.
A travers les flous de sa tête chavirée parviennent des tap-tap et des voix mêlées à des éclaboussements.
" C'est-y pas qu'on ferait de la lessive à s't'heure, au plein mitant des bois ! "
Au détour d'une allée il tombe dans une clairière où luit une mare laiteuse. Autour, six formes de lavandières s'affairent à la tâche, et la plus grande le hèle :
" Viens donc ici nous aider à tordre ce drap ! "
il a trop bu pour bien les distinguer. C'est assez singulier car il a l'impression de les voir tant$ot belles avec des gestes gracieux d'invite, tantôt hideuses avec des gestes de menace. Le bougre aimerait faire demi-tour et filer au plus vite, mais trop tard, un linge humide lui colle déjà aux mains, un frisson glacé serpente le long de ses bras. ses membres entravés refusent d'accomplir le signe de croix capable de le "désencharmer". Le chant des Lavandières lentement le fascine, "un chant sourd, monotone, triste comme un
De Profundis".
Maintenant il sait à qui il à affaire. Il aurait dû s'en douter. Mais aux veillées on racontait tellement de fariboles sur les Femmes Faramiques et sur les Dames Blanches, qu'il n'y avait jamais cru. Les vieux s'en méfiaient comme de la peste, si bien qu'ils préféraient pousser plusieurs lieues de détour que passer près d'un lavoir à la brume : "Retirons-nous, disaient-ils, c'est l'heure de la Laveuse." et si d'aventure ils entendaient au loin frapper les battoirs, ils s'ensauvaient. Il ne fallait jamais leur répondre, ni les approcher, encore moins les déranger. Le seul fait de les apercevoir était signe de trépas : "Car le linceul qu'elles préparent est celui dans lequel
l'averti sera enseveli avant trois jours."
" Ton linceul t'attend, ton linceul t'attend ", répète le chant.
On ne sait trop leur nature, certains disant qu'elles étaient Fées de purgatoire punies pour des méchants sorts qu'elles auraient lancés ; d'autres y voyant des Fées de nuit, aussi cruelles que celles du jour étaient bonnes. Ou encore des mères coupables d'infanticide : "Si on regardait de plus près le linge à tordre, on y découvrirait le cadavre d'un bébé. Et souvent il en coulait du sang. Elles auraient beau sans cesse laver, frotter jusqu'à l'user, il ne deviendrait jamais blanc même au jugement dernier."
Il fallait un cœur pur ou en paix pour conjurer leur peine. Une, une femme qui revenait tardivement d'avoir prié ses morts à l'église fut obligée d'essorer parmi elles la lessive nocturne. Au bout d'un moment, la plus âgée lui dit : "Tu es bien heureuse d'avoir honoré tes défunts ; sans cela je t'aurais si bien tordue, retordue, que jamais débrouilleur d'écheveaux n'aurait été capable de débrouiller de que j'aurais fait de toi."
Perronnick devine qu'enfayté comme il l'est à présent, il n'a plus le choix, il ne peut plus se dérober. La vieille a commencé à faire tourner le linge entre ses mains... Il sait aussi qu'il a offensé la nuit tel le pire des goujats. Et il s'est "emmaudit". Il lui reste cependant une chance de s'en tirer en tordant toujours dans le sens opposé à celui de la "Lavou". S'il l'oublie un seul instant, le drap emprisonnera ses poignets, ligotera ses bras jusqu'à les briser... puis tout son corps sera broyé et entraîné sous l'eau. Il ne doit à aucun moment se laisser distraire. On a retrouvé des gars couchés, évanouis auprès des eaux croupies, les membres à moitié arrachés, mais qui vivaient encore. Il faut qu'il tienne ainsi jusqu'au matin, quand l'aube les chasse avec la brume. Dans les yeux de la vieille, il y a deux lunes, deux lunes en train de danser, de danser à l'envers, à l'endroit, à l'envers...
Pierronnick a été battu, tordu jusqu'à ce que dépouille et linceul se dissolvent parmi les autres jonchées d'âmes perdues, au fond des eaux hantées où veillent les Chanteuses de nuit.
Pierre Dubois, La Grande Encyclopédie des Fées