«
Non, m’man, tu ne peux pas... Non ! Je t’ai dit que le magasin le faisait. »
Glenda s’efforçait de parler à voix basse, mais les coups d’œil intrigués devenaient de plus en plus fréquents. Pourquoi diable avait-elle choisi de répondre à ce coup de fil
maintenant ? Les sorciers ignoraient à quoi servait un téléphone portable – la plupart n’avaient même jamais utilisé de téléphone, préférant une bonne vieille cheminée à cette merveille de technologie moldue. Mais lorsqu’on était Née-Moldue, et que ses parents continuaient à croire que la vie poursuivait son cours comme si de rien n’était, il fallait bien composer avec les deux mondes, leurs avantages et leurs inconvénients.
Mrs Howell, sa mère, semblait toujours espérer que sa fille ramènerait bientôt des billets d’avion pour les Canaries, ou un chèque de plusieurs milliers de livres. Elle n’avait pas encore réalisé – ou elle le cachait formidablement bien – que Glenda ne jouait pas à un jeu de télé-réalité quelconque et que la magie existait bel et bien.
«
Oui, oui, l’ourlet sera fait. Oui, l’écusson sera cousu... non. Écoute, je te laisse, m’man. Je te rappelle ce soir. »
Elle raccrocha en vitesse et fourra le mobile dans la poche de son blouson. Le temps était au gris depuis plus d’une semaine. D’épais nuages couvraient le ciel londonien, rafraîchissant considérablement l’atmosphère de cette fin d’été. Les passants affairés se pressaient sur le Chemin de Traverse : des enfants surexcités par la prochaine rentrée à Poudlard, leurs parents angoissés à l’idée de ne pas réussir à trouver leurs dernières fournitures, et tous ceux qui, au milieu de ce tumulte, venaient simplement procéder à leurs emplettes habituelles.
Porter des vêtements moldus lui offrait au moins un avantage. On la reconnaissait bien moins qu’avec une robe de sorcier, dont la forme rappelait immanquablement les tenues de Quidditch. Ainsi, au moins, passait-elle quasiment inaperçue. Glenda n’aimait pas vraiment la célébrité. Signer des autographes était certes flatteur, avoir sa propre carte de Chocogrenouille était carrément dément, mais devoir répondre aux encouragements de supporters – ou aux quolibets de hooligans – la laissait toujours intimidée et mal à l’aise. Elle était une sportive, non une politicienne ou une star de cinéma. Son rôle ne consistait pas à saluer avec un sourire charmeur, mais à défendre des buts. On avait trop souvent tendance à l’oublier. La rançon de la gloire, auraient dit certains. Glenda détestait cela, non par dédain de ses admirateurs, mais par manque de confiance en elle.
D’un pas pressé, les talons de ses bottines claquant sur les pavés, la jeune femme descendit la rue en se frayant un chemin entre la foule de sorciers et de sorcières. Première étape, la boutique d’accessoires de Quidditch. Elle avait commandé de nouveaux gants, et bien que le club aurait pu les lui fournir, elle avait plaisir à faire ce genre d’achats elle-même. Le personnel du magasin la connaissait bien, maintenant. Elle se fournissait en équipement là-bas depuis plus de dix ans, ils entretenaient même son magnifique Météore 2.0, le dernier cri en matière de balai de compétition. On la salua avec la même chaleur qu’à l’ordinaire, on lui conseilla de nouveaux produits EX-TRA-OR-DI-NAIRES et on lui souhaita bonne chance pour la nouvelle saison de Quidditch qui s’ouvrait. Ses gants sous le bras, et trois quarts d’heure plus tard, Glenda quittait la boutique en promettant de revenir bientôt.
Elle reprit son chemin vers l’ouest, s’arrêta quelques instants devant chez Eeylops, le royaume du hibou, où une multitude de fillettes à la voix perçante semblait concourir pour terroriser le plus d’animaux possible d’un simple cri. Un peu plus loin, la boutique de glaces restait désespérément vide. Rien d’étonnant, par ce temps. Glenda tourna le dos à Eeylops, quand une silhouette familière attira son regard vers l’endroit d’où elle venait.
«
Oh, non... »
Une cape émeraude, ornée d’un écusson des Catapultes de Caerphilly, une épaisse tignasse blond-roux, un nez pointu : le supporter numéro un de l’équipe déambulait dans sa direction. Il ne l’avait pas encore remarquée – par chance – mais n’allait pas tarder à reconnaître « son gardien préféré », comme il ne manquait jamais de le crier devant les journalistes de Quid’mag. Glenda jeta un regard autour d’elle pour envisager ses options. Retourner sur ses pas lui était impossible et si elle tentait de filer vers l’ouest, il ne manquerait pas de l’apercevoir. Rentrer chez Eeylops ? Impossible aussi : les filles s’agglutinaient autour de la boutique comme des doxys sur un vieux fauteuil. Elle aurait pu tenter de se fondre parmi la foule, mais il y avait toujours un risque pour qu’il l’aperçoive, et elle refusait de le voir lui tenir la jambe pour le reste de la journée.
Ne demeurait plus que Fleury & Bott, juste devant elle. Un jeune homme en sortait à l’instant même. Bien que dégingandé, il était beaucoup plus grand que la petite joueuse de Quidditch, suffisamment en tout cas pour l’aider. Glenda se précipita jusqu’à lui et, se glissant dans son dos, l’attrapa par les deux bras.
«
Ne bougez pas, s’il vous plaît ! implora-t-elle à voix basse.
Dites-moi quand il sera passé, le type roux avec l’écusson de Quidditch sur le torse. Il arrive... »
Elle se recroquevilla autant que possible, cachée derrière le sorcier comme s’il s’était agi d’un bouclier. Par Merlin, pourvu qu’il ne remarque pas !